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CHANGEMENTS DE MENTALITES
La crise sanitaire que nous traversons va-t-elle transformer durablement nos mentalitéset notre manière de nous conduire les uns envers les autres ? A vrai dire, le processus
de distanciation sociale avait en un sens commencé dans nos sociétés modernes bien
avant les mesures de confinement. Cette tendance va-t-elle s’accélérer ? Télé-travail,
télé-divertissement, télé-amour : tout devient virtuel à l’ère du numérique. Quelle place
restera-t-il pour la chaleur vécue des sentiments ?
Loin d’annoncer une mutation profonde dans les manières de travailler et d’être ensemble,les mesures prises dans la plupart des pays du monde pour endiguer l’épidémie du
coronavirus décident bien plutôt d’une intensification de tendances déjà présentes.
Elles ne font, de fait, que confirmer ce que la révolution digitale avait déjà engagé, mieux
même elles fournissent une application nécessaire à ce qui n’était encore que facultatif.
Que ce soit le télé-travail ou le télé-achat, les deux pouvant d’ailleurs aller de pair, l’un et
l’autre s’étaient largement développés dans les sociétés contemporaines redéfinissant à
l’occasion certains postes de travail et certaines habitudes de consommation. Mais, avec
le virus, les conséquences ultimes de ces redéfinitions en gestation deviennent soudain
plus lisibles.
Avec le télé-travail, c’est le déplacement professionnel, celui qui mène du lieu d’habitationprivée à un lieu de travail déterminée ou celui qui mène de ce dernier à un autre lieu de
travail, proche ou lointain, qui est mis à mal. Dès lors, c’est tout d’abord le voyage
professionnel dont on peut s’apprêter à signer l’acte de décès, le voyage ne pouvant plus
se maintenir, à l’avenir, que, sous sa forme d’agrément, comme dépaysement culturel. Et
à terme, pour certaines activités non directement liées à la production, c’est l’existence
même de locaux professionnels – bureaux et autres espaces de travail – qui semble
devoir être remise en question.
Avec le télé-achat, c’est toute promenade citadine, piétonnière ou motorisée, de boutiqueen boutique, qui est menacée et à terme c’est la disparition physique, purement et
simplement, desdites boutiques qui est programmée au profit d’immenses hangars à
l’écart des centres urbains et de leur livraison à domicile. On pourrait trouver bien
d’autres déclinaisons à cette intensification des tendances que la digitalisation a initiées,
comme, par exemple, une université sans étudiants où l’enseignement se ferait de chez
soi à chez soi, par vidéo conférence et autre support digital. Mais s’il l’on devait résumer
les conséquences ultimes de ces mutations en une seule formule, celle-ci serait : tout le
monde à la maison, que cette maison soit un appartement en ville, un chalet à la
montagne, une villa au bord de la mer ou une ferme à la campagne.
Le coronavirus ajoute simplement une dimension supplémentaire, puisque, désormais,le confinement permet non seulement la fusion avec ses vêtements en un style que
d’aucuns considéreront comme mou, mais il invite à la recherche de plus de confort
encore, en libérant le corps de toutes les contraintes qui pèsent sur lui dans la sphère
publique, jusqu’à privilégier dans l’intimiOn pourrait trouver encore bien d’autres
exemples de cet imaginaire de la fusion. Mais s’il ne faut en prendre qu’un seul, c’est
sans doute vers le monde virtuel des réseaux sociaux qu’il importe de se tourner. Ainsi le
« share » de Facebook, qui livre à la communauté d’amis le moindre événement de la vie
quotidienne de chacun, est-il, à l’évidence, un bien bel exemple de cette volonté de
fusion dans un être-ensemble, volonté que l’épidémie qui atomise et isole ne peut que
tendre sans doute à renforcer davantage. té du foyer les vêtements du haut au détriment
de ceux du bas.
C’est, de fait, un imaginaire d’une distanciation se jouant à différents niveaux quimanifeste sa prégnance depuis une trentaine d’années dans les sociétés contemporaines.
Largement déterminé dans un premier temps par une autre épidémie, celle du sida – au
demeurant bien plus meurtrier que ne le sera jamais le coronavirus –, il s’est étendu de la
nécessaire protection des corps à une distance entre les sexes, indirectement
occasionnée par l’assomption professionnelle des femmes, jusqu’à une mise à l’écart qui
a touché d’une manière ou d’une autre bien des domaines d’activité, économiques
comme sociaux.
C’est en effet l’image d’une société où le désir n’existe plus et où la rencontre de l’autrene peut plus se faire, où chacun reste enfermé dans son corps et dans son sexe, ou
encore dans son groupe professionnel ou social, que projettent les mesures radicales
engagées contre la propagation du virus. Mais cette radicalité est telle que, en même
temps, elle laisse envisager un retournement. Ou, en d’autres termes, l’imaginaire de la
distanciation est tellement saturé par ses éléments constitutifs qu’il ne peut que se
transformer de lui-même.
Le « namaste » hindou qui allie pour le moins hygiène et élégance et qui, déjà, apparaîtcomme un modèle à imiter n’est pas sans suggérer ce possible retournement. Si tel
s’avérait être le cas, c’est une mutation salutaire dans la dynamique des sociétés que le
virus aurait ainsi permise.
par F.M
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