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PERDRE UN FILS
PERDRE UN FILS
Tu me laissas si triste, esseulé par ta faute,
J’avais jadis un fils, or la mort fut si sotte
Que, t’arrachant de terre avec ses poings sinistres,
Tu m’abandonnas, seul, dans ce monde de cuistres ;
Dans ce monde où aimer se brade et se corrompt,
Dans ce monde où autrui est l’ennemi qu’on rompt,
Dans ce monde qui crache à la face du Beau
Et se réjouit quand naît Demain dans son berceau.
Si le Sort, ce méchant, m’avait laissé le choix,
J’aurais prié cent fois, plutôt que cet effroi
De perdre pour toujours un fils que je pleure,
Qu’il me plante un poignard en plein milieu du cœur.
Saignant toutes les plaies saignées par les martyrs,
Le meilleur me fuyant, c’est direction le pire
Que mon âme en naufrage aurait tendu sa voile
Pour voguer, tout là-haut, vers ses sœurs les étoiles !
J’aurais tout accepté, options au cap multiple,
Comme un maître se voit servi par ses disciples,
J’aurais léché les pieds des sales Compromis
Puis, fouetté par l’Orgueil dont le zèle humilie,
J’aurais dit au Mépris : « Essuie-toi sur mon front
Comme le soulier crotté le fait d’un paillasson… »
Mais voila, rien ne sert de remonter le cours
Du temps qui s’avançant fait s’écrouler les tours
Des Babel dont les nains défient l’Immensité,
Que fait donc au Ciel, puissante éternité,
Que l’esclave à genoux d’ici-bas se croit prince ?
Mon fils je t’aimais comme un roi sa Province
Au mille et un coteau d’un flamboyant été
Tant tu fus mon soleil, lumière énamourée
Qui peignait des rayons sur ma morne grimace !
Jamais de te pleurer mes larmes ne sont lasses,
Ma détresse est profonde autant que l’est la nuit
De lune enténébrée et qu’en chauve-souris
L’Espérance parcourt sans ne jamais trouver
Une proie à saisir sous son vol effréné !
Où trouver cette joie qui me manque à présent,
Coulant sous le carnage, ô mes frères de sang,
Vous qui êtes les miens, riche et pauvre famille
Que vêt le beau costume ou l’affreuse guenille ?
Quand la fraternité a délaissé la Terre
Ne sommes-nous pas fous de nous faire la guerre
Tandis qu’enfants dans l’âme et liés par le cœur
Nous devrions, heureux, chanter d’un même Chœur
Qu’il n’est de possession digne de persister
Parmi les astres d’or par Dieu partout semés
D’une main débonnaire en ces champs d’innocence
Où croît la Liberté libre d’appartenance ?
Sur ce globe sans rêve où la folie essaime
Les clivages maudits de l’antique dilemme,
Un fils chaque jour, quelque part, un quidam
Souffre en sa destinée d’épouvantables drames ;
Dresse la damnation partout ses échafauds,
La misère se fait du quotidien l’écho,
La finance prospère entre bagnes et banques,
Roulent sur les charniers les chenilles des tanks !
Dès lors que la colombe est massacrée par l’aigle,
Compatir n’est-il pas la plus noble des règles ?
Penser à son prochain souffrant plus qu’à soi-même
Ne lui fournit-il pas cette preuve qu’on l’aime ?
Je jette en le tourment ce cri telle une sonde :
Mon fils je t’aimais plus que tout être au monde !
Hélas ! Notre Univers est un vaste Océan
Que la Nécessité, en ses justes courants,
Fait fluctuer non point vers le sens qu’on désire
Et où le contingent n’a pas son mot à dire…
Tu souffrais tellement ! Et l’on n’a rien pu faire
Pour éteindre ce feu qui consumait tes chairs ;
Nous-pardonnerais-tu, témoins de ta géhenne,
Que l’on n’ait pu t’offrir une épaule à tes peines ?
A mon luth éploré quelques tragiques cordes
Jouent le miserere d’une miséricorde…
La poussière et la cendre et la tombe et la croix,
Le Sublime s’entrouvre au vulgaire qui croit
Aux sermons du prophète agonisant pourtant
Du malheur d’être né des autres différent…
Dès lors, se lamenter exposant ses limites,
Que cesse l’élégie et que viennent très vite
Illuminer mes traits, visage du clown triste,
Les rais d’un bel Azur aux couleurs d’améthyste !
Que se taise ma voix, que s’assèchent mes larmes,
Sonnez le glas, chagrin ! Aigreur, rendez les armes !
Peu importe le nom qu’on ne peut oublier,
Reste le souvenir d’un fils qu’on aimait…
Très bel hommage d'EsperluetteR.I.P ERIC & CINDY le 8.03.2003
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