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LE MALIN
Tout commença de fort belle manière sur un joli voilier de la vilaine. Un plaisancier
plaisant conviant à son bord un matelot qui était en carafe, loin de son port d'attache.
Pour répondre à l'invite, le vagabond des rivières s'en vint vers son hôte flanqué d'un
lorrain. La chose peut paraître surprenante à qui ne connait rien à la chanson
traditionnelle quant aux autres, ils apprécieront l'état de confusion mentale de ce curieux
personnage.
C'est un duo qui se présenta sur le ponton, armé des meilleures intentions et bien décidé
à profiter de l'air du large. Si la notion peut amuser des gens de l'Océan, pour les marins
d'eau douce, quitter la berge est toujours une aventure qui du reste n'est jamais sans
écueil, chausse-trappes et menu incident dont la nature échappe aux navigateurs salés.
Ce n'est pas parce que les flots manquent de saveur que la bordée n'est pas épicée.
L'hôte, homme charmant au demeurant, ne se doutait pas qu'il venait de tendre la main à
un chat noir de la pire espèce, un être dont rien pourtant n'indiquait qu'il allait
chambouler l’ordonnancement habituel de la traditionnelle virée au large. Il ne faut jamais
jurer de rien quand on attire le diable à l'aqueux. Mais suivons nos lascars à pas de
velours pour ne pas perturber le cours des événements.
Tout débuta de fort agréable manière. Le Malin sait se montrer courtois tout en
dissimulant son pouvoir maléfique. Aux salutations chaleureuses succédèrent les
préparatifs pour larguer les amarres et jouir pleinement d'un spectacle qui s'annonçait
fort agréable. Un soleil enchanteur s'étant convié pour faire bonne mesure.
Le capitaine s'installa à son poste de pilotage, une fois toutes les vérifications effectuées.
Tout semblait se présenter sous les meilleurs auspices d'autant qu'un côte de Beaune fut
libéré de son entrave pour participer à la fête. Il n'y avait plus qu'à mettre le contact,
lancer le moteur qui permettrait de quitter le ponton avant que de larguer les voiles.
Le moteur refusa obstinément de ne serait-ce que tousser un peu. Il resta sans voix en
dépit de toutes les mesures de contrôle indiquées dans le manuel du parfait plaisancier.
Après une multitude de manipulations, de vaines tentatives, force était de constater que
le voyage escompté sera parfaitement immobile, ce qui, d'après les poètes et les rêveurs,
est la plus belle manière de s'évader.
La conversation remplaça la navigation tout en s'offrant le luxe de bien des détours sur
les canaux et les rivières de l'Europe du Nord. La bouteille, une fois vidée ne fut du reste
pas jetée à la mer, l'équipage n'étant nullement en détresse. Tout se déroulant de la plus
belle des manières sans avoir à tenir le cap. L'incident serait vite oublié et la partie remise
après un contrôle mécanique quand l'effet du vin sur la vessie du chat noir entraîna une
voie d'eau à bord. Même sans rencontrer d'obstacle, le bon diable réussit l'exploit de faire
déborder le vase : (en la circonstance, le wc de bord, attestant une fois encore, qu'il est
un expert en la chose).
C'est donc une semaine plus tard que l'inconscient marin remit le couvert pour honorer
sa promesse. Le porteur du mauvais œil vint cette fois flanqué de deux diablotins pour
mettre en péril la sérénité à bord. Le vent était de la partie, la voile serait larguée tandis
que la tempête soufflait à bord. Il est des navigateurs qui ne redoutent rien, pas même les
oiseaux de mauvais augures.
Le moteur remplit sa mission, plaçant le voilier au milieu du flot, près pour la remonte
sous voile. La prudence étant malgré tout bonne conseillère seul le génois fut lancé,
assurant malgré tout une avalaison des plus satisfaisantes. La mauvaise impression de la
fois précédente s'était envolée, le vent de Galerne éclairant non nos lanternes mais les
yeux des petits passagers.
C'est lorsqu'il fallut empanner qu'un grain de sable se remit dans les rouages. En dépit de
tous les recours de la mécanisation, le génois refusa de s'enrouler. Il y avait du tirage
dans la corde à nœud ou pour le moins un hic dans la mécanique ad-hoc. Chacun de
s'évertuer à tourner une manivelle qui n'avait pas le moindre effet. L'obstination en la
circonstance n'est certes pas garante de succès, bien au contraire.
Le bateau filait toujours vers l'amont tandis que son équipage entendait s'en retourner.
Il fallut quelques numéros d'équilibristes afin de démêler ce qui n'aurait jamais dû
s'entortiller de la sorte. Une erreur incompréhensible si l'on refuse de croire aux ondes
négatives de certains individus. L'embrouillamini oublié, le retour pouvait se réaliser au
moteur, sans risque cette fois de nouvelle contrariété.
Il ne faut jamais vendre la peau du chat noir avant que de l'avoir totalement dépouillé de
ses oripeaux sataniques. C'est à l'approche du ponton que le Malin se rappela à
l'équipage, lui refusant la manœuvre d'accostage. Le vent qui avait poussé l'expédition se
mettait désormais en travers de la coque et de sa marche arrière. Panique à bord ou pour
le moins inquiétude. Il ne ferait pas bon jouer aux auto-scooters dans un port de
plaisance affichant complet.
Les tentatives s'avèrent toutes vaines jusqu'à ce qu'un plaisancier recommande une
toute autre manœuvre. C'est par la proue qu'il fallait accoster, la poupe faisant sa
mauvaise tête, ce qui du reste ne lui ressemble guère. Là encore, ce ne fut pas sans mal
tandis que le chat noir, juché sur le pont avant montrait avec application l'immensité de
son incompétence. Il y eu bien un petit choc pour achever la manœuvre tandis que le bon
voisin suppléait aux carences du ligérien diabolique.
Cette fois, c'est promis, le capitaine plaisant se gardera bien de convier à nouveau ce
triste sire, beau parleur certes mais piètre navigateur et qui plus est, porte poisse notoire.
Son expédition aurait pu rester secrète mais l'homme, en marin avisé, a souhaité la
partager afin que nul, à l'avenir, s'aventure à convier à son bord, ce suppôt de Satan,
marinier à pieds crochus si prompt à tirer le diable par la queue. Le chat noir existe, il est
plus prudent de l'écarter du pont.
C.N
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